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La colline "inspirée"

 

Tableau n°1

A chercher son chemin dans la peinture, l'on s'égare plus facilement qu'on ne se trouve. Egarés nous sommes, sans voie où aller, à l'abandon de nous-mêmes, dans le chaos du sans-forme.

Mais l'égarement n'est pas la perte. Et il n'est pas certain qu'à vouloir trouver son chemin, il ne faille pas se perdre. Se perdre dans la peinture, à même sa texture, dans le jeu des couleurs et des rythmes, n'est pas chose aisée. Il s'agit de s'abandonner certes, sans réserve ni retenue, mais rigoureusement, dans les chemins de traverse, dans les voies plus obliques, jusqu'à ce que le regard retrouvant, du peintre, la force du pinceau ou de ce qui en aura fait office, trouve à son tour enfin... quoi ? La peinture !

Retrouver la voie, dégager dans la matière que le peintre aura lui-même posée la voie, l'éclaircie qui, fera voir, dans la peinture, par notre œil, la peinture à elle-même : telle est la tâche.

Tableau n°2

Voyez ces tableaux de Hubert Pauget là-devant, qui pourtant d'aucune façon ne sont... là-devant ! Plus avant en eux-mêmes, peut-être, s'essaient-ils, dans le rayonnement de leur présence, à nous appeler nous aussi à l'avant de nous-mêmes. Savons-nous répondre à l'appel de la peinture ? "Le roi Oedipe a peut-être un œil de trop", dit Hölderlin ; à l'inverse, ne sommes-nous pas devenus si insensible à la question qu'à l'étonnant appel du visible - qu'est pourtant la peinture - ni l'œil ni la voix ne répondent.

Pas d'image à quoi se raccrocher : rien à voir ! Rien, ou peut-être le rien de la circulation des blancs, ce repos de l'œil.

Des blancs ?

Mais ces bleus, ces jaunes, ces rouges, nœuds de couleurs qui tendent vers la résolution des espaces, et dont l'intensité, toujours, étire les surfaces - que dire de ces couleurs, ou plutôt qu’y voir ?

Livrées à elles-mêmes, dans l'intimité sollicitante des tons, celles-ci ne connaissent que peu le repos. Peu ou d'à-plat, entremêlement des ardeurs et des intensités, passages difficultueux, éclats resserrements et libérations, elles se tiennent, chaudes et froides, dans le vertige de leurs apparitions. D'où leur vient le rythme par où le tableau dans sa mouvance, s'équilibre ? Des couleurs ou de ce qui les fait voir ? D'une forme qui s'impose ou de l'éclaircie qui ouvre l'espace de sa tension ?

Creuser dans les veines de la matière, dans l'épaisseur du matériau requis, regrouper ce qui peut l'être et dégager des voies - la tâche est rude à qui cherche dans la peinture son chemin, à qui cherche le chemin de la peinture.

À la face noueuse et opulente de la matière, répondent ces incursions, ces heureuses avancées du blanc. Dans l'épaisseur des couleurs, celui-ci fraye sa voie, menant, amenant les tons les uns aux autres, facilitant leur transition pour d'eux recevoir en retour, un hâle de proximité. Bleuissant, rougissant, recevant du jaune une brume prudente, la réserve du blanc donne aux couleurs leur insistance, comme à la toile son unité.

Il faut, pour être au plus près de l'avènement de la couleur, suivre sans se hâter le chemin du blanc.

Sinueux bien souvent, de telle sorte qu'à le suivre on se perde entre de vagues avancées de couleurs se contorsionnant, d'autre fois encore volontaire et franc, mais jusque dans sa droiture alors, aporétique, le chemin du blanc est celui par où la couleur arrive à elle-même.

Tableau n°3

Difficilement parfois et dans la tension du geste pictural, comme dans le tableau 2, large rectangle qui laisse libre cours à la fuite, à l'envolée presque lyrique du rouge, l'aporie du chemin paraît. Ici, une lumière blanche, rehaussée par l'intensité du jaune et rendue plus douce encore par la bleuité tendre de son horizon, vient du haut, et de chaque côté resserre à la taille le dessin lui-même. Tout eût été parfait, tant l'élan se laisse ressentir ; mais la perfection, trop lisse, ne laisse à notre regard plus de prise. Il fallait alors que soit tenté en force un passage, et un n'y suffisant pas, plusieurs. Mais les multiples avancées du blanc, géométriques jusqu'à la rigidité, ne mènent nulle part, et à l'inverse donnent à voir leur égarement. La peinture, non sans force, sait aussi peindre cette errance-là.

Moins aporétique peut être la révélation du blanc quand, se tenant en réserve et dans l'horizon des couleurs, elle laisse être la puissance des tons. C'est en elle qu'apparaît le tableau 1 dont le jeu de réponses et d'échos, constitué par les taches rouges unifiant l'espace, doit son éclat à l'intime vibration, fraîche et rafraîchissante, des bleus pâles soutenus par la clairvoyance des blancs. Ici le chemin n'est pas constitué de ces fermes tracés qu'à emprunter nul n'avancerait jamais. Plus discret, il est fait de ces auréoles blanches, par où surgit la lumière.

Cette lumière tant recherchée, par où la saisir ? Il ne suffit pas, en peinture, d'une tache blanche pour la voir. Celle-ci n'en est jamais la cause ; elle peut parfois en être la conséquence. La lumière, c'est bien plutôt l'Ouverture, l'éclaircie, qui nous la fait voir, sans qu'elle-même ne puisse être vue. Elle apparaît ici avec bonheur dans le tableau 3. Il s'agit là d'une composition difficile où torsions et nœuds, perdus dans la bleuité de la matière, ont pour réponse - car ils sont dans leur composition même des questions - la calme étendue du jaune, que le lisse à-plat libère. Et là, dans l'avènement de la lumière que protège l'esquisse d'un cercle, au centre presque, l'unité se montre. Alors, rare moment dans cette peinture éclatante de rouge et tendue d'inquiétude, paraît le repos du blanc : celui que l’œil attend et qui seul libère l’œil.

Philippe GROSOS, juin 1992.

Copyright © Philippe Grosos

Texte écrit pour l'exposition "la colline inspirée"


Philippe GROSOS est professeur agrégé de Philosophie. Ses travaux portent sur la philosophie allemande, la phénoménologie et la poésie. Il est le président de la revue culturelle et scientifique, Cadmos.